Pelechian : apports personnels

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PELECHIAN DANS L’AVANT-GARDE DES ANNEES 1960

    Pelechian vit dans un autre temps, dans un autre monde, avec d'autres avant-gardes. Barthélemy Amengual précise : « pour élaborer ses ciné-poèmes, Pelechian a repensé le montage d'Eisenstein et de Vertov à la lumière de l'underground, du structural film américain des années 60. » - Sur cinq films d’Artavazd Pelechian, Cahiers de la cinémathèque, n°67/68, 1997.

    Héritier du cinéma soviétique, Pelechian a inscrit son œuvre personnelle dans le courant avant-gardiste de son époque, les années 1960. Les problèmes d'organisation du discours, de montage, de rapport image/son qui sont au cœur du cinéma de Pelechian sont aussi des préoccupations du cinéma expérimental. Mais là encore, Pelechian se démarque des artistes du cinéma expérimental : alors que ceux-ci sont avant tout occupés à des réflexions sur le cinéma et sa technique, lui se préoccupe aussi beaucoup du fond, du contenu et du signifiant des images.


UN COUSSIN D’AIR COMPRIME

    « Vertov et Eisenstein ont inventé une nouvelle machine, mais ils l'ont mise sur des rails de chemin de fer. Or cette machine avait besoin d'un coussin d'air comprimé. » Pelechian, cité par Serge Daney, Libération, 11.08.83.

    Ce coussin d'air, loin des rails du cinéma didactique et militant, c'est peut-être la poésie.

VERTOV DANS L’AVANT-GARDE DES ANNEES 1920

    Une autre différence entre Vertov et Pelechian tient au contexte de production qui explique des différences formelles. On ne retrouve pas chez Pelechian la multiplicité des points de vue, ni tous les trucages et effets spéciaux qu'utilise Vertov. Ceux-ci sont le reflet de cette effervescence de l'avant-garde artistique qui cherche de nouvelles formes, en accord avec le nouveau monde que l'on est en train d'inventer après la révolution de 1917.

   Vertov est influencé par le courant futuriste de Maïakovski, et le courant constructiviste de Rodtchenko, lequel déclarait : « Nous devons révolutionner notre pensée visuelle. […] Il faut photographier des objets quotidiens, familiers, de points de vue complètement inhabituels et dans des positions inattendues. » - Les voies vers la photographie contemporaine, 1928.

   Vertov reprend cette idée avec son ciné-œil qui permet de voir le monde autrement, les angles inhabituels et les trucages contribuent à traduire cette nouvelle vision.

VERTOV EST MILITANT, PELECHIAN HUMANISTE

    La visée du cinéma de Pelechian est complètement différente de celle de ses prédécesseurs. Vertov est un militant : il conçoit son cinéma comme un « ciné-déchiffrement communiste du monde ». Au moment de L'homme à la caméra, le vent est en train de tourner pour Vertov : il a dû quitter Moscou pour faire son film en Ukraine car son projet est jugé trop coûteux, mais surtout trop expérimental ; il n'empêche que L'homme à la caméra se base sur les thèses énoncées dans le premier plan quinquennal et propose au spectateur un modèle social à atteindre, le bonheur à venir. Pelechian rejette ce didactisme : il n'est au service d'aucun parti, sa vision se veut tout simplement humaniste.

QUELQUES POINTS DE REPERE


  1. CINEMA UNDERGROUND :

Courant cinématographique américain d’avant-garde des années 1960.

Jonas Mekas, chef de file de l’underground, lança, en 1962, un manifeste : « Eh oui, les artistes sont en train d’abandonner les histoires belles, heureuses, divertissantes, qui les mettent en valeur. Ils commencent à exprimer leur anxiété d’une façon plus apparente et plus fraîche. Ils cherchent une forme plus libre, une forme qui leur permette d’exprimer une plus vaste échelle des rapports émotionnels, des explosions de vérités, des clameurs d’avertissement, des accumulations d’images ; pas pour réaliser un scénario amusant, mais pour exprimer pleinement les hésitations de la conscience de l’homme, pour nous confronter, face à face, avec l’âme de l’homme moderne » - J. Mekas, cité par J. Mitry, in Le cinéma expérimental, histoire et perspectives, Ed. Seghers, 1974, pp. 259/260. De nombreuses raisons éloignent Pelechian de cet univers « souterrain » et très contestataire, mais l’on comprend cependant l’utilisation du terme «underground» par Amengual ; on retrouve dans le cinéma underground et chez Pelechian cette même volonté de créer une nouvelle forme, une poésie libérée et libératrice qui permet d’exprimer des émotions et de réfléchir sur la place de l’homme contemporain dans le monde.


  1. STRUCTURAL FILM AMERICAIN DES ANNEES 1960 :

Le « Structural Film » est une « branche » du cinéma underground qui peut être défini grâce à 4 caractéristiques :

« - l’immobilité de la caméra (cadre fixe du point de vue du spectateur),

- l’effet stroboscopique (ou de clignotement)

- la répétition exacte et consécutive d’un même plan ou d’une même série de plans (film à "boucles")

- le réenregistrement d’images projetées sur   écran ». P. Adams Sitney, « Le film structurel », Paris Expérimental, 2006 (1969), p. 4.                       

Certaines caractéristiques se retrouvent dans le cinéma de Pelechian : l’effet de clignotement, ou la répétition d’un même plan ou d’une séquence.

    Pelechian est l'héritier d'Eisenstein et de Vertov, et particulièrement de ce dernier ; partageant leur conviction du montage roi de l’expression cinématographique, il conçoit ses films grâce aux théories des années 1920 ; cependant, Pelechian se démarque de ses prédécesseurs et fait de nombreux apports afin d’élaborer son concept du montage à distance et de s’inscrire dans son époque, les années 1960.