Image et poésie

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ZAOUM, DEFINITION : 

Le zaoum (en russe : заумь ou заумный язык) est un type de poésie des futuristes russes (notamment Vélimir Khlebnikov et Alexeï Kroutchenykh) qui vise principalement l’organisation des sons pour eux-mêmes : tout le poème est tourné vers le côté phonique du discours.

Inventé par Kroutchenykh en 1913, le mot « zaoum » est composé du préfixe russe za- (au-delà) et du nom oum (l'esprit) et peut se comprendre comme « trans-mental ». Le zaoum n'a ni règles grammaticales, ni conventions sémantiques, ni normes de style. Il a été créé pour exprimer les émotions et les sensations primordiales. Son universalité est basée sur l'idée que les sons précèdent les significations, et représentent un élément naturel, donc universel, de la communication humaine.

Paolo Albani & Berlinghiero Buonarroti, Dictionnaire des langues imaginaires, Les Belles-Lettres, 2001 pour la traduction française.

EN QUETE DE L’INDICIBLE

    La création d’images est nécessaire en poésie, voire primordiale. Le vocabulaire étant limité, ces images permettent au poète, en jouant sur les connotations, les sonorités, le rythme, de suggérer, et, paradoxalement, ainsi d’exprimer de la façon la plus juste possible ses idées, ses sensations, ses sentiments, ses émotions. Barthélemy Amengual compare cinéastes et poètes dans cette volonté d’expression : « Pelechian (et Paradjanov par d’autres voies) poursuivent une image, un fait polysignifiant, une épiphanie, un "zaoum" visuel. Ils sont en quête d’un indicible. Ce que peuvent les poètes, pourquoi les cinéastes ne le pourraient- ils pas ? ». Barthélemy Amengual, Sur cinq films d’Artavazd Pelechian, Cahiers de la cinémathèque, n°67/68, décembre 1997.

IMAGES POETIQUES

    Le cinéma est l’art des images, et ce ne sont plus des mots qui défilent sous le regard du spectateur, mais des plans. Cependant, il faut faire là une différence entre les « images filmiques » projetées sur un écran, qui constituent matériellement le film, et sont identiques pour tous, et les images « mentales » que crée le langage poétique, les « images poétiques », les images invisibles sur l’écran.

    La poésie peut naître d’un plan et de sa composition, mais elle provient souvent des images dites « absentes », « mentales » : celles que l’artiste va susciter dans l’esprit du spectateur grâce au montage. Ce sont souvent l’agencement, l’association ou le choc de plans, qui génèrent ces images poétiques, en « excédant le représenté dans chaque image » (mots de Gérard Leblanc, Contribution à une redéfinition du cinéma, www.mediascreationrecherche.com/Cinemapoesie.pdf).

L’EMOTION AVANT L’INTELLIGENCE

    Et pour que le cinéma devienne poétique, le cinéaste doit faire en sorte que le rapport que le spectateur a aux images se modifie. Il faut accepter que chaque plan cesse d’être seulement un enregistrement pur et simple de la réalité, il faut qu'il ne soit plus un moment du réel capté, mais un signe, une « image » au sens figuré du terme.

    C'est ce que fait Pelechian dans son cinéma. Les images perdent leurs références, elles deviennent des fragments d’histoire que l’on ne peut reconstituer, des images privées de hors-champ, des images qui ne renvoient qu’à elles-mêmes.

    Dans les films de Pelechian, les images filmiques perdent souvent leur son direct ; celui-ci est remplacé par de la musique, des bruitages ou des cris qui n’ont pas de rapport direct avec ce qui est montré à l’image. Sans la parole, Pelechian gagne en pouvoir de suggestion : il sollicite ainsi l’émotion avant l’intelligence.

    Ce changement de statut de l'image passe aussi souvent par la modification de la vitesse du plan et par un travail sur le rythme. Ce jeu avec la durée, le temps et le rythme est proprement poétique. Les images filmiques sont parfois ralenties, ou accélérées, et s’inscrivent alors dans une nouvelle temporalité qui ne peut pas être celle de la réalité.

Exemple : Les Saisons - Evolutions d’un plan

    Grâce à une chute qui n’a dû durer, dans la réalité du tournage, que quelques secondes, Pelechian parvient à monter plusieurs minutes de film. Dans cette séquence issue des Saisons, le pouvoir du cinéaste réside bien dans son montage : il multiplie les plans pour suspendre le temps, il combine la musique et le ralenti et ainsi apaise l’action d'une scène dangereuse pour transformer cette chute dans un torrent en un ciné-poème qui vient toucher la sensibilité du spectateur.