Artavazd Pelechian est arménien. Etre arménien, c’est porter toute une histoire très douloureuse, dont le deuil des épisodes les plus récents n’a pas encore pu être fait. Etre artiste arménien c’est créer, avec dans sa conscience, ou dans son inconscient, cette mémoire, avec en toile de fond spirituelle, les atrocités, non reconnues, commises sur ses parents.

    Dans ses films, Pelechian parle souvent de l’Arménie, en montre des images (par exemple, les bergers arméniens dans Les Saisons, Erevan dans Nous...), mais ses films, s’ils sont sur fond d’Arménie, ne sont pas pour autant des films sur l’Arménie.

    « Je parle de tout  le monde et à tout le monde : le sujet de mon film, c’est l’homme, c’est toi... » aime dire Pelechian ;  il vise à l’universalité.

    « L’Arménie devient le monde, est le monde » dit Barthélemy Amengual.

    Le véritable discours sur l’Arménie, ce n’est pas à « la surface » des images qu’il faut la chercher, c’est « sous les images » qu’il faut déceler les traces de l’arménité de Pelechian, dans des thèmes récurrents, dans certaines façons de présenter les images.

« Nous », ce pronom résonne de manière particulière pour les arméniens. Le génocide a lancé sur les routes de très nombreux arméniens, souvent des orphelins, pour qui le « nous » n’a plus existé pendant de longues années. Ce « Nous » dit la solidarité d'un peuple pourchassé, persécuté. Par réflexe, tant qu'ils le peuvent, les arméniens cherchent à dire « nous », ils cherchent à créer des communautés, ils tentent de se protéger en se rassemblant.

    « Dire "nous", c’est un geste fou d’une certaine manière, fou d’espoir, de crainte, de promesse, mais ce n’est certainement pas une tranquille assurance quant à ce qui est »

       Jacques Derrida in « D’ailleurs, Derrida », documentaire de Safaa Fathy, 1999.

Et c’est ainsi dans ces reprises, cette concertation chorale, que l’Arménie devient le monde, est le monde, la Russie, le cosmos.

Barthélemy Amengual