Montage image et musique

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DES COMPOSITIONS MUSICALES    

    Les films de Pelechian sont souvent comparés à des compositions musicales : Dominique Païni parle de « films minutieusement composés plutôt que réalisés ». Dominique Païni, Arthur Pelechian, cinéaste d’icônes, Art Press, n°12, janvier 1992.

Pour François Niney, « les films d’Artavazd Pelechian relèvent autant de la composition musicale (thème et variation, leitmotiv, différence et répétition, tempo) que de la réalisation cinématographique ». François Niney, Artavazd Pelechian ou la réalité démontée, in Le cinéma arménien, Centre Georges Pompidou, 1993.

    Les figures de la composition musicale citées ci-dessus, « thème et variation, leitmotiv, différence et répétition, tempo », vont de pair avec la construction cinématographique qu’induit le montage à distance : de « grosses perles » (pour reprendre l’image du chapelet de Barthélemy Amengual) qui s’apparentent à des refrains (et donc se répètent, peuvent être assimilées aux thèmes), et des « petites perles » qui seraient les couplets, les variations. Pour affiner la comparaison à la musique classique, François Niney affirme que « les films fonctionnent comme transposition visuelle du concerto ou de la symphonie, et réservent au spectateur une expérience émotive unique, oubliée depuis les premiers temps du documentaire muet ». Pelechian réussit alors à recréer, grâce à une mystérieuse alchimie entre les divers éléments, cette émotion qui semble être annulée lorsque image et musique sont montées ensemble de façon conventionnelle.

 

COMBINAISON CHIMIQUE

    « Transgression » parce que montage de deux éléments habituellement hétérogènes, mais qui, agencés, pensés ensemble, paraissent ne faire qu’un élément expressif et émouvant (l’image et le son sont souvent montés séparément puis simplement ajustés par la suite). Plus que de montage entre les deux pistes, visuelle et sonore, Pelechian parle de « combinaison chimique », comme il employait le terme de « fusion » précédemment. Pour pratiquer ce montage entre image et son, la musique est pensée dès l’écriture du scénario ; elle fournit à Pelechian un rythme, le guide dans la construction de ses œuvres.

« Je ne peux concevoir mes films sans musique. Lorsque j’écris les scénarios, je dois prévoir la structure musicale du film, les accents musicaux, le caractère émotionnel et rythmique de cette musique, qui est nécessaire, indispensable à chaque scène. La musique ne constitue pas pour moi un complément de l’image. C’est avant tout la musique de l’idée exprimant le sens à l’unisson avec l’image. C’est également la musique de la forme. Je veux dire que la portée du son musical dépend à chaque instant de la forme, de la composition et de la durée de l’ensemble ».

   Artavazd Pelechian - Le montage à contrepoint, ou la théorie de la distance, Trafic n°2, Printemps 1992.

MUSIQUE POUR LES YEUX

    L’assemblage des images tournées, ou du moins choisies, et de la musique est un exercice d’autant plus compliqué chez Pelechian que pour lui, le son doit être aussi signifiant, expressif que l’image.

« Pour le film Nous, l’une des principales difficultés de mon travail fut le montage de l’image et du son. […] Il fallait que le son soit indissociable de l’image et l’image indissociable du son. Je me fondais et me fonde encore sur le fait que, dans mes films, le son se justifie uniquement par son rôle au niveau de l’idée et de l’image. Même les bruits les plus élémentaires doivent être porteurs d’une expressivité maximale et, dans ce but, il est nécessaire de transformer leur registre. C’est pour cette raison que, pour l’instant, il n’y a pas de son synchrone ni de commentaire dans mes films ».

   Artavazd Pelechian - Le montage à contrepoint, ou la théorie de la distance, Trafic n°2, Printemps 1992.

Pour François Niney, Pelechian est un « expérimentateur du cinéma comme musique pour les yeux » - François Niney, Artavazd Pelechian, ou la réalité démontée, in L’épreuve du réel à l’écran, De Boeck, 2002, p. 50.

« J’ai travaillé dans le sens d’une combinaison du son et de l’image qui ne consiste pas en un mélange physique des éléments mais en une combinaison chimique. Et j’ai découvert tout à coup qu’en cherchant à augmenter la signification et l’expressivité du son, je faisais un montage du phonographe et de l’image, transgressant ainsi les canons et les méthodes de montage que je m’efforçais de suivre jusque là. C’est cette « transgression » que je voudrais placer au centre de mon travail théorique ».

   Artavazd Pelechian - Le montage à contrepoint, ou la théorie de la distance, Trafic n°2, Printemps 1992.