Intervalle et répétition

Le montage à distance >  Intervalle et Répétition

 

UN INTERVALLE FECOND, FONDEMENT DU MONTAGE A DISTANCE

    L’intervalle devient alors un lieu actif, fécond. Il est à même de produire du sens, voire même des images « virtuelles », des images absentes matériellement du film. C’est cet intervalle qui est utilisé dans la théorie du montage à distance de Pelechian : des images se créent dans l’esprit du spectateur grâce à l’écart qui existe entre les plans qui sont bien présents dans le montage.

   Chez Pelechian, l’intervalle qui semble être fondamental, premier, est celui qui sépare deux plans dits « importants ». Cet intervalle est certes un « vide » entre deux plans, entre les plans importants, mais un vide rempli d’une série de plans « secondaires », soumis eux-mêmes à des intervalles. L’écart est ainsi d’autant plus porteur de sens qu’il est plein de plans signifiants.

    Dans les films de Pelechian, l’intervalle peut aussi être simplement constitué de plans « noirs », qui viennent interrompre le cours du film. Ils créent ainsi un temps de pause, de réflexion, d’assimilation pour le spectateur des images qu’il vient de voir et qu’il a imaginées (ce même intervalle existe sur la bande sonore, c’est un silence).

Intervalle

« Dans un point de montage à distance, on peut faire entrer tout l’univers » - A. Pelechian in Entretien avec Pelechian réalisé par François Niney en mai 1991 pour Les Cahiers du cinéma, n°454, avril 1992.

Un point de montage où l’on peut faire entrer tout l’univers est un point de montage où la notion d’intervalle semble primordiale.

GILLES DELEUZE A PROPOS DU RACCORD DANS LE CINEMA MODERNE


D’après Gilles Deleuze, qui utilise les expressions de cinéma « moderne » et de cinéma « classique », la question de la discontinuité et de sa visibilité est au cœur de leur différenciation.

  « Le cinéma moderne se définira idéalement par un renversement tel que l’image est désenchaînée, et que la coupure se met à valoir pour elle-même. La coupure, ou l’interstice entre deux séries d’images, ne fait plus partie ni de l’une ni de l’autre des séries : c’est l’équivalent d’une coupure irrationnelle, qui détermine les rapports non-commensurables entre images. Ce n’est donc plus une lacune que les images associées seraient supposées franchir ». Dans le cinéma moderne donc, « ce qui compte, c’est l’interstice entre images, entre deux images : un espacement qui fait que chaque image s’arrache au vide et y retombe ». Gilles Deleuze, L’image-temps, Editions de Minuit, 1985, p. 278.


« Au lieu d’une image après l’autre, il y a une image plus une autre ». Gilles Deleuze, L’image-temps, Editions de Minuit, 1985, p. 279.

CARDIOGRAMME

Enfin, l’intervalle peut être vital. Selon Serge Daney, le but de Pelechian est de « capter la cardiographie émotionnelle et sociale de son temps » - Serge Daney, A la recherche d’Artavazd Pelechian, Libération, 11.08.83.

Réaliser le cardiogramme du monde. Un cardiogramme représente la pulsation cardiaque. Or un battement de cœur est une alternance dont l’une des composantes vitales est l’intervalle, plus ou moins long, plus ou moins régulier. L’autre élément constitutif de la palpitation du cœur est la répétition. Et, pour Gilles Deleuze (Différence et répétition, PUF, 1997, p.8), « ce n’est pas par hasard qu’un poème doit être appris par cœur. La tête est l’organe des échanges, mais le cœur, l’organe amoureux de la répétition ».

CINEMA MODERNE / CINEMA CLASSIQUE

    Dans le cinéma dit « classique », l’intervalle entre deux plans, le raccord, se doit d’être le plus petit possible, le plus invisible possible. L’intervalle est seulement une coupure et ne joue pas d’autre rôle que de permettre de passer d’un plan à l’autre. Il permet d’associer deux images homogènes. La discontinuité constitutive du raccord tend à être effacée. Le raccord ne doit pas être perceptible en tant que tel.

    Dans le cinéma dit « moderne », le raccord, l’écart, devenu visible et l’image ont un rapport actif ; l’interstice prend de l’importance par rapport à l’image. Le montage devient non « une opération d’association, mais de différenciation […], il faut qu’un potentiel s’établisse entre les deux [plans choisis], qui soit producteur d’un troisième ou de quelque chose de nouveau » - Gilles Deleuze, L’image-temps, Editions de Minuit, 1985, p. 234.