Intervalle et répétition

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  La répétition chez Pelechian peut être répétition d’un plan dans un même film, mais aussi d’un même plan dans plusieurs films ; un plan d’envol d’oiseaux, par exemple, se trouve dans Les Habitants et dans Nous.

Photogramme issu de

Nous et des Habitants

BEGAIEMENT DU TEMPS  

    Dans le cinéma d’Artavazd Pelechian, la répétition est une figure majeure.

Elle permet notamment d’établir un rapport particulier avec le temps qui est au centre des recherches de Pelechian. La répétition permet d’effectuer une sorte de retour en arrière, de bégaiement du temps, et donc d’avoir une certaine emprise sur son déroulement.

  Dans les films de Pelechian, le déroulement du temps est très subjectif, il dépend de chaque spectateur, de sa perception des intervalles, mais aussi des plans répétés. En effet, comme l’intervalle, la répétition peut permettre la divagation, le saut hors du chemin tracé par le déroulement inexorable du temps, en faisant se « retourner » un plan sur lui-même.


LE MEME PLAN QUI RE(DE)VIENT AUTRE  

  L’esprit du spectateur est touché par l’image répétée, mais chaque réapparition est perçue différemment, car comme le propose François Niney, « la répétition, n’est-ce pas le même plan qui re(de)vient autre ? » - François Niney, Artavazd Pelechian, ou la réalité démontée, in L’épreuve du réel à l’écran, De Boeck, 2002, p. 51.

Chaque image, vue pour la seconde, ou la troisième fois est perçue différemment de la première car elle est nourrie des autres. Et dans le cadre des films de Pelechian, la nouvelle occurrence, en plus de faire appel aux autres, peut utiliser, pour augmenter sa puissance, les plans qui se situaient dans l’intervalle entre les répétitions.

REPETITION ET DIFFERENCE  

    L’image répétée gagne alors de nouvelles significations, de nouvelles émotions, une nouvelle richesse, que le spectateur acquiert aussi. Ce sont ces multiples facettes d’un plan que recherche Pelechian. Pour aider à la visibilité de cette multiplicité des plans, Pelechian peut introduire lui-même la différence en modifiant, en truquant un plan répété : inversion gauche/droite, lecture arrière, ralenti, accéléré, arrêt sur image, passage en négatif. Mais parfois, « sous le charme d’un rythme inouï, le spectateur met un bon moment à réaliser que la séquence qu’il admire est faite du même plan plusieurs fois enchaîné (le déferlement fabuleux des vagues roulant et roulant encore brebis égarée et berger au début des Saisons, de fait il n’y a qu’une seule et même vague) » - François Niney, Artavazd Pelechian, ou la réalité démontée, in L’épreuve du réel à l’écran, De Boeck, 2002, p. 51.. On a ici une sorte de boucle du même plan (modifié ou pas), mais encore une fois, il serait plus juste de parler de spirale, puisque même répété, aucun élément ne redevient le même, « …et partout l’Autre dans la répétition du Même » - Gilles Deleuze, Différence et répétition, PUF, 1997, p. 37.

Dans toutes les œuvres d’art où la répétition a lieu dans le temps, tout ce qui est perçu avant alimente l’esprit du spectateur et la répétition active les mécanismes de la mémoire, les résurgences des souvenirs afin d’accroître la portée de l’image. Or, ajouter une nouvelle occurrence d’un plan, d’après Gilles Deleuze, c’est « non pas ajouter une seconde et une troisième fois à la première, mais porter la première fois à la « nième » puissance » - Gilles Deleuze, Différence et répétition, PUF, 1997, p. 8.

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